Madame D’avril a 88 ans. Elle et moi sommes de grandes danseuses professionnelles. Vous ne me croyez pas ? Pourtant, tous les gestes que nous posons ensemble sont chorégraphiés au quart de tour et font en sorte que ma comparse soit confortable, calme, rassurée.
Madame D’avril est non-voyante. Lors de notre premier contact, je ne savais pas comment l’aider. Elle ne savait pas comment communiquer. Mes soins se butaient à des refus et à des fins de non-recevoir. Nous étions à des kilomètres, chacune confinée dans notre maladresse et notre mutisme.
Puis, petit à petit, par essais et erreurs, j’ai appris à l’accompagner. Graduellement, avec patience et bienveillance, j’ai su comment elle aimait porter ses vêtements, comment elle avait l’habitude de crémer son visage et ses mains dès son réveil, j’ai su comment elle aimait dormir, manger, aller à la toilette. Au jour le jour, j’ai appris à répondre à ses besoins avant même qu’elle ne les formule. Comme un vieux compagnon de route qui la connaît par coeur, je suis devenue ses yeux.
De son côté, elle a appris à reconnaître le son que font mes vêtements et mes souliers dans le corridor lorsque j’approche. Elle a appris à me connaître moi et sa chambre par coeur. Le plus souvent, elle devine même mes sourires !
Lorsque j’étais enfant, je voulais devenir pompière. J’ai toujours eu ce côté frondeur, téméraire et courageux. La vraie bravoure pour moi aujourd’hui, c’est de ne pas avoir peur de foncer tête première lorsqu’un nouveau résident arrive à l’étage afin de faire tout en mon pouvoir pour apprendre à le connaître et à lui rendre la vie plus facile et confortable. Et ce, même si la maison est en feu. Même si on me résiste, même si on me chasse, me blesse et m’insulte. Je vais toujours rentrer et tenter de m’approcher encore un peu plus près pour éventuellement réussir deux, trois pas de cha-cha, de valse ou de merengue.
Dansons !