Troubles de la mémoire, désorientation… La maladie de Bernadette Couture s’est déclarée à 81 ans. « À 80 ans, ma mère courait encore son cinq kilomètres plusieurs fois par semaine, témoigne Lucie Morissette. Après sa retraite, elle faisait encore énormément de bénévolat dans un centre de gériatrie. « Tu peux ralentir, que je lui disais. Tu seras bientôt plus vieille que les résidents que tu accompagnes ! »». Mais ralentir, Bernadette Couture ne savait pas. Ce n’est que lorsque le Dr Meunier, l’aîné dont elle a pris soin pendant sept ans décéda que Bernadette a sombré dans la maladie.
« Vivre avec la maladie de son parent, c’est comme vivre un deuil par petits coups, observe la directrice. Aujourd’hui, je suis surtout peinée de ne plus pouvoir partager avec elle les choses importantes de ma vie, se désole Lucie Morissette. Je la visite avec ses cinq petits-enfants et elle oublie tout dans l’heure qui suit. Depuis l’année dernière, elle est sur la pente descendante. »
En constante augmentation
Au Canada, 564 000 personnes sont atteintes de la maladie d’Alzheimer (MA), selon les données de la Société Alzheimer du Canada. D’ici 15 ans, ce chiffre grimpera de 66% avec 937 000 cas. « On pourrait espérer une augmentation moins fulgurante que ce qui a été projeté, indique toutefois Serge Gauthier, le neurologue qui suit Bernadette. Le contrôle de certains facteurs de risques, le niveau d’éducation plus élevé et les saines habitudes de vie des générations qui suivent pourraient atténuer cette augmentation due au vieillissement de la population.»
En effet, le contrôle de la tension artérielle, l’éducation (au moins 7 années d’étude) et la saine alimentation sont des facteurs de protection contre la maladie. « Les données disponibles en recherche épidémiologique et, jusqu’à un certain point, les essais cliniques randomisés suggèrent une réduction de risque du déclin cognitif chez les personnes qui font plus d’exercices physiques et intellectuels en groupe », précise le neurologue et chercheur clinique à l’Institut Douglas.
« La leçon que je retire de ma mère, c’est qu’il ne faut pas arrêter, constate Lucie Morissette. Il faut continuer à s’occuper, à apprendre, à bouger. »
De l’espoir grâce à la recherche
Depuis une décennie, la recherche sur l’Alzheimer fait des progrès. Après des décennies à faire du surplace en tentant de guérir les malades, les chercheurs s’intéressent maintenant à l’avant-maladie.
Parmi les avancées les plus prometteuses, la société américaine Lilly publiera à la fin de l’année le résultat des nouvelles études sur le Solanazumab, un médicament qui permettrait de ralentir la progression de la maladie dans sa forme légère. « Or, l’accessibilité à ce médicament demeure incertaine en raison de son coût anticipé (1000$ par injection) et il faut surveiller la présence de possibles effets secondaires », prévient le Dr Gauthier.
Malgré cela, le neurologue et professeur au Département de psychiatrie, de neurologie et neurochirurgie et de médecine à l’Université McGill demeure optimiste. De nouveaux médicaments seront mis à l’essai en 2017. En outre, il sera bientôt possible de diagnostiquer la maladie plus tôt et de manière plus précise grâce à l’imagerie cérébrale, ajoute-t-il. Ces avancées permettent à l’expert d’espérer que la prochaine génération, les baby-boomers, sera moins atteinte par la maladie neurodégénérative.
Un optimisme qui a d’abord décontenancé Lucie Morissette lors des premières années de consultation avec sa mère. « Je trouvais que Dr Gauthier minimisait l’impact de la maladie, mais aujourd’hui, je comprends l’importance de dédramatiser. J’essaie de rassurer les familles des résidents aux Résidences Floralies qui vivent la même chose que moi. Même que je les fais souvent rire avec mes histoires, comme celle voulant que ma mère soit convaincue que je pratique le métier de concierge, malgré que ça fasse des années que je travaille en gestion. Mes enfants la trouvent bien drôle celle-là. C’est aussi ça la maladie. »
Le combat des familles
Bernadette Couture n’a pas conscience que l’Alzheimer lui vole peu à peu des pans de sa mémoire. Mince consolation pour ses proches? « Je déteste voir ma mère comme ça, mais je crois que je préfère cette situation à une maladie physique grave où elle aurait conscience de son déclin, confie Lucie Morissette. Ma mère vit dans sa tête, elle se fait même de beaux scénarios. Récemment, elle s’est inventé une histoire de flirt à partir de la photo d’elle avec un capitaine de bateau de croisière, prise il y a plusieurs années. »
Pour Mme Morissette, la conséquence la plus pernicieuse de la MA, c’est l’isolement: « Ce n’est pas ma mère qui s’isole, ce sont ses amis qui la désertent. Je ne peux pas leur en vouloir : elle pouvait les appeler des dizaines de fois par jour, même la nuit ! Elle répète toujours les mêmes choses et ne les écoute plus. Or, cette situation m’attriste beaucoup. »
Les réactions de l’entourage, et plus particulièrement des membres de la famille à la démence d’un proche, sont très différentes d’une personne à l’autre, soutient la directrice. « Parfois, les familles sont dans le déni. Nous sommes là pour les sécuriser. Pour les conjoints, c’est souvent très difficile. »
Pour apprivoiser la maladie, elle recommande aux proches de prendre part au groupe de soutien de la Société Alzheimer du Québec qui offre des ateliers sur une variété de sujets. Elle leur conseille aussi, comme un cri du cœur : « Discutez avec eux ! Même si ce qu’ils disent n’a pas beaucoup de sens, ils ont besoin de parler ! Faites-leur écouter de la musique. C’est incroyable comment les résidents les plus avancés dans la maladie s’illuminent lorsqu’ils entendent les airs de leur temps. C’est comme s’ils revenaient à la vie. »