Par amour pour Gertrude
Gertrude Brouillette vient de célébrer son 95e anniversaire à la Résidence Floralies de LaSalle. Pour l’occasion, toute la famille était réunie. « Ne pouvant recevoir en même temps tout l’amour qu’elle a semé en 95 ans, notre mère a vu défiler sur deux jours les familles de ses quatre enfants tous très heureux de célébrer la vie avec elle qui, la veille, n’avait à peu près pas fermé l’œil de la nuit tant elle était excitée, raconte sa fille Lorraine Dubois. Le bonheur n’a pas d’âge ! »
Du reste, la famille Dubois-Brouillette n’attend pas une occasion spéciale pour se réunir. Elle enveloppe plutôt leur aînée de leur amour et de leur présence. « Notre système de visites est bien rôdé, explique sa fille Lorraine Dubois, fille de Gertrude. Ma mère a été tellement bonne pour nous. Aujourd’hui, on reproduit un peu l’ambiance conviviale dans laquelle nous avons grandi. L’entraide et la proximité ont toujours été d’une grande importance dans notre famille. »
L’enseignante à la retraite se souvient encore de la discussion qu’elle avait eue avec son frère et ses deux sœurs pour prendre les choses en main à la suite d’une mauvaise chute de leur père. « Je nous revois à discuter autour de la table chez ma sœur. On s’est distribué les tâches selon ce qui nous convenait le mieux. Mon père a été hospitalité pendant un peu plus de deux mois et il ne s’est pas passé un jour sans qu’il reçoive la visite d’un de ses enfants ou petits-enfants. Lorsque ma mère s’est retrouvée seule après son décès en 2015, on s’est dit qu’on voulait la même chose pour elle. »
La famille est alors passée à un cheveu de la voir partir à son tour. « Elle a perdu trois ou quatre tailles de vêtement, raconte sa fille. Tranquillement pas vite, avec l’amour et la présence de ses proches, ainsi que les bons soins du personnel des Résidences Floralies, notre mère a remonté la pente. »
Chez les Dubois-Brouillette, les valeurs familiales se transmettent de génération en génération. « Mes sept petits-enfants sont très proches de ma mère, souligne Lorraine Dubois. Ils me demandent d’aller voir « Mamie » lorsqu’ils s’en ennuient. Ils ont été élevés par mes enfants avec cette même valeur: la famille passe avant tout. » Preuve qu’elle a de l’importance aux yeux de ses arrières-petits-enfants, Gertrude a été la première personne à qui Laurence, 17 ans, a téléphoné après avoir passé son permis de conduire. « Mamie, imagine : je vais pouvoir aller te voir en auto à LaSalle ! », lui a-t-elle alors annoncé.
Selon Lorraine Dubois, les personnes âgées ne devraient pas se gêner pour demander à leurs proches de venir les visiter. « Mes parents nous ont toujours fait savoir qu’ils souhaitaient que l’on soit présents pour eux. Je vois des voisins de ma mère qui n’ont jamais de visites et qui donnent des excuses pour leurs enfants, mais j’aurais envie de leur dire : laissez la gêne de côté et invitez-les à venir vous visiter ! »
Ma mère nous a tellement gâtés ! Jeune, elle avait été obligée d’aider sa mère de s’occuper de ses soeurs. Elle avait le droit de ne rien faire et en a beaucoup souffert. Alors elle a fait tout le contraire avec nous : elle ne nous demandait même pas de faire notre lit ! Quand on s’est mariés, on était un peu embêtés car on n’avait jamais rien fait ! (rires) Elle nous disait parfois : je vous gâte beaucoup mais, quand je serai vieille, vous allez peut-être pouvoir me rendre la pareille…
– Lorraine Dubois
Un dévouement pour Aline
Aline*, 94 ans, résidente des Floralies de Lachine, est chouchoutée par ses trois filles qui sont toujours restées très proches d’elle. « On s’occupe beaucoup de notre mère parce qu’on l’aime et qu’elle a toujours été présente pour nous, explique sa fille Nicole*. C’est le juste retour des choses. Elle aime savoir qu’on est là pour elle. Ça lui évite des peurs, de l’inquiétude ou de l’anxiété. » Aline passe rarement une journée sans visite d’un membre de sa famille. Pour les trois sœurs, cette proximité est une façon de garder le plus longtemps possible le contact avec leur mère qui commence à présenter des pertes cognitives.
L’importance de la famille, de la filiation est avant tout une question d’éducation, croit Nicole. « On a été élevés dans l’amour, souligne Nicole. Pour ma mère, ses enfants passaient avant tout. On a eu une belle enfance. Nos parents jouaient beaucoup avec nous. Jusqu’à 75 ans, ils venaient au chalet de ma sœur faire du ski de fond, des glissades. On a toujours aimé avoir du plaisir, rire, faire des jeux, s’agacer. »
Lorsqu’elle visite sa mère, Nicole joue aux cartes avec elle et lui met sa musique préférée. Du Michel Louvain surtout. « La musique la met de bonne humeur, témoigne-t-elle. Elle l’éveille beaucoup. Lorsqu’il y a des spectacles au rez-de-chaussée, on essaie de l’y accompagner. Elle chante, tape du pied. Elle est très présente dans ces moments-là. »
Malgré le grand dévouement dont ont fait preuve Nicole, Manon* et Lise* pour sortir leur mère de chez elle, il vient un temps où ce n’est plus possible. « Nous avons souligné la fête des Mères chez moi et je crois que c’était probablement la dernière fois qu’elle sortait de chez elle. Elle était perdue par la suite. Maintenant, on se réunit plutôt à la résidence. On loue une salle, on lui donne des cadeaux, on joue à des jeux, on chante, on danse, on rit. À la fin, elle dit: « J’ai-tu pas passé une belle journée ? » »
Ma mère a toujours été fière et élégante, même au soir de sa vie. Encore aujourd’hui, elle va chez le coiffeur une fois par semaine. On se fait donc un point d’honneur de l’aider à préserver sa dignité jusqu’au bout…
– Nicole*
* À la demande de la famille, seuls les prénoms sont publiés.
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Les dangers de l’isolement selon le Dr Yves Lamontagne, psychiatre
Bien que très inspirantes, ces deux histoires de familles organisées pour combattre la solitude de leur proche ainé ne sont pas si répandues. « L’isolement est l’un des principaux problèmes chez les gens âgés, observe Dr Yves Lamontagne, psychiatre et ex-président du Collège des médecins. À mesure qu’ils vieillissent, la solitude et l’ennui les guettent. »
Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. La perte des proches en est un. Dans un contexte où l’espérance de vie augmente, plusieurs personnes âgées vont survivre à leur fratrie, à leurs amis, voire parfois à leurs enfants (lorsqu’ils en ont eu). La qualité des liens familiaux est un autre facteur déterminant. Sans compter les pertes de mobilité, d’audition et cognitives qui limitent grandement la communication des personnes âgées avec les proches.
Selon plusieurs études, les impacts de l’isolement sur la santé sont mesurables. Les personnes âgées souffrant d’isolement seraient notamment plus à risque de dépression et prendraient généralement plus de médicaments. « Ils tombent dans la dépression, car personne ne vient les voir, ils suivent toujours le même train-train quotidien. Ils ont l’impression de ne plus compter pour personne. Ce ne sont pas des facteurs très encourageants ! »
Dr Yves Lamontagne rappelle que, même lorsqu’un aîné présente de lourdes pertes cognitives, il est important que les proches continuent à en prendre soin. « Les gens cessent d’aller voir grand-maman sous prétexte qu’elle souffre de démence, déplore-t-il. Or, on n’est pas obligé d’aller passer six heures en sa compagnie. Il suffit de lui faire sentir un contact physique, une chaleur humaine, une présence pour que ce soit profitable. »
La psychiatre suggère aux familles de ne pas se limiter aux appels téléphoniques occasionnels, mais de visiter leurs proches, de les stimuler intellectuellement, de les faire bouger et, quand c’est possible, de les sortir faire une promenade, au restaurant ou dans les fêtes familiales.
« Le plus beau cadeau que l’on puisse offrir dans le temps des Fêtes, c’est de visiter une personne âgée, conclut-il. Tout le monde en connaît au moins une, que ce soit le proche d’un ami ou le sien… »
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Isolement des aînés : la perception des Québécois
94% des Québécois considèrent que l’isolement des personnes âgées comme un enjeu important
95% des Québécois jugent que l’isolement ou le fait de vieillir seul est un facteur qui peut affecter la santé des personnes âgées
12% des répondants s’engageraient à poser un geste concret pour lutter contre l’isolement des aînés
58% des répondants le feraient probablement
30% ne le feraient probablement pas ou pas du tout
46% des répondants croient qu’il est probable qu’ils vont eux-mêmes vieillir seuls
* source : sondage réalisé par la firme Léger entre le 24 et le 26 avril 2017, auprès de 1005 Québécois âgés de 18 ans et plus.